return back button L'hypothèse de l'inconscient est-elle scientifique ? Chez Descartes, on a vu que le moi c'était l'âme. La nature de l'âme c’est la pensée, c'est une substance entièrement consciente, transparente. Le sujet qui pense a accès à l'intégralité de ses pensées, il n'y a rien de ce qu'il pense qui échappe au sujet; il n'y a donc nul opacité au sein de l'activité mentale du sujet. Selon Descartes, l'âme est distincte du corps; il appelle ce corps l'étendue (la matière) et l'oppose à la pensée (substance distincte). Ceci lui permet de confirmer l'immortalité de l'âme. I - Le psychisme, activité mentale, ne se réduit pas à la conscience A) Le problème classique de l'évanouissement Exemple : le syncope n'est pas une perte de connaissance, mais une perte de conscience; c’est une absence provisoire de l'âme, de soi-même. Lorsque l'on revient à soi-même, on ne se souvient plus de ce qui s'est passé, ni où l'on est. Comment Descartes pense-t-il l’évanouissement ? Si l'âme, c'est la conscience, lorsque je m'évanouis je perds mon âme, mon âme meurt. L'évanouissement ne peut-être conçu autrement que comme la mort de l'homme, ce qui est contradictoire avec le sens de l'immortalité de l'âme. Descartes ne peut pas penser un phénomène aussi simple que l'évanouissement car il réduit le psychisme à la conscience. L'évanouissement met en évidence des degrés de conscience : on perd progressivement conscience, jusqu'à revenir à soi. B) L'existence de phénomènes inconscients « Et pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions distinguer dans la foule, j'ai coutume de me servir de l'exemple du mugissement ou du bruit de la mer, dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit, comme l’on fait, il faut bien que l'on entende les parties qui composent ce tout, c'est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l'assemblage confus de tous les autres ensembles, c'est-à-dire dans ce mugissement même, et ne se remarquerait pas, si cette vague, qui le fait, était seule. Car il faut qu'on soit affecté un peu par le mouvement de cette vague, et qu'on ait quelque perception de chacun, de ces bruits, quelques petits qu'ils soient ; autrement on n'aurait pas celle de cent mille vagues, puisque cent mille riens ne sauraient faire quelque chose. » (Nouveaux essais sur l'entendement humain, Leibniz 1765). C) L'inconscience et l'inconscient
L'inconscience (ou être inconscient) L'inconscient (ou avoir un inconscient)

Renvoie à des états de notre psychisme
comme l'évanouissement, le coma, le sommeil.
C’est un état de suspension de notre conscience.
Il concerne aussi les actes irréfléchis
comme la conduite en état d'ivresse ou l'enfant
qui traverse sans regarder, il s’agit
donc d'une inconscience morale.

Une partie de notre psychisme échappe à notre conscience comme les rêves ou les actes manqués.

Dans quelles mesures est-il injurieux de qualifier un être humain d'inconscient ? Selon Sigmund Freud dans son ouvrage Une difficulté de la psychanalyse, l'être humain aurait connu trois blessures, chacune infligés par la science, des blessures narcissiques et d'amour propre : Copernic a montré que la Terre n'était pas au centre de l'univers, on passa alors du géocentrisme à l'héliocentrisme. Darwin a montré que l'être humain est issu de la chaine animale, et qu'il ne domine pas tous les êtres vivants; il n'y a point de rupture entre l'humanité et l'animalité d'un point de vue scientifique et biologique. La psychanalyse montre que l'être humain ignore une partie de ses motivations. Il n'est pas maître de lui même. Freud s'inscrit dans une lignée scientifique après Copernic et Darwin, il revendique une légitimité scientifique; ce n'est donc pas une injure mais une blessure. Qualifier un être humain d'inconscient c'est donc infliger une blessure narcissique en remettant en cause la maîtrise qu'il a de lui même. II - L'hypothèse d'un inconscient chez Freud A) Sigmund Freud à la psychanalyse Sigmund Freud (1856-1939) est né en Austro Hongrie (Autriche-Hongrie), il a vécu à Viennes et il est mort à Londres. Il a quitté Viennes pour échapper à l'invasion nazie, il était juif par contrainte. Le penseur a fait des études de médecines, il a fait la rencontre à Paris du professeur Charcot travaillant sur l'hystérie; ce dernier maîtrisait l'hypnose. Il a aussi fait la rencontre de Joseph Breuer, médecin viennois, ils écriront ensemble Les études sur l’hystérie.
Breuer a d'ailleurs traité une patiente, Anna O. (de son vrai nom : Bertha Pappenheim) malade puis soignée, sur qui Freud écrira un article. Cette dernière souffre de multiples symptômes : paralysie, hallucination, et hydrophobie. Breuer décide alors d’utiliser la méthode cathartique. Anna O. raconte sous hypnose son passé, où elle voit sa gouvernante faire boire son chien dans son verre d'eau; elle n'aurait pas réagit et n'aurait pas manifesté sa désapprobation. Après avoir raconté cet événement elle est libérée de sa maladie. La parole a peut-être donc un aspect thérapeutique curatif (une cure par la parole).
Le domaine de la psychanalyse est né à partir du moment où l'hypnose est abandonnée. Il s'agit pour Freud d'une innovation technique. Sous l'hypnose le patient est inconscient, il livre son histoire sans s’en rendre compte. Mais pour Freud, il ne faut pas vaincre artificiellement la résistance du patient. Cette résistance persiste lorsque l'on est conscient; ceci prouve qu’il existe un processus de refoulement, selon lequel le sujet repousse dans l'inconscient certaines représentations.
B) Le rêve et les actes manqués La méthode consiste à raconter tout ce qui vient à l'esprit pour éclaircir les motivations inconscientes. Des scientifiques essayent de comprendre le rêve. Ils mènent des expérimentations en provoquant artificiellement un rêve. Ils soutiennent que le rêve à une origine corporelle. Ils veulent démontrer qu'il y a un rapport entre les stimulations internes et externes. Il faudrait prêter attention au contenu du rêve. Freud se rattache ici la tradition de l'antiquité qui interprétait les rêves. Freud ne va pas voir le contenu du rêve comme une prémonition ou une anticipation du futur, mais va articuler le contenu du rêve au passé du rêveur.

Le rêve de l'enfant est simple à expliquer et à comprendre. Le rêve d'un enfant est la réalisation d'un désir qui n'a pas été satisfait. L'activité onirique de l'enfant se réduit au rêve. Freud ne traite pas le cas du cauchemar de l'enfant, il veut seulement confronter son rêve à celui de l'adulte. Le rêve de l'adulte n'est pas immédiatement compréhensible. Freud formule une analogie entre l'hystérie et le rêve. Il distingue alors le contenu manifeste (évident, se dont on se souvient au réveil, produit du travail du rêve) et le contenu latent (caché, résultat du travail de l'interprétation mené par la psychanalyste ou le patient). La formation du rêve est comparable aux symptômes de l'hystérie. Elle résulte de la résistance d'un Moi, qui est le pôle conscient de notre psychisme. Dans "l'affaiblissement du sommeil" il y a affaiblissement de la conscience et donc du Moi. Le processus de défiguration du rêve est comparable à celui qui engendre le syndrome de l'hystérie. La résistance du Moi est moins grande à l'état du rêve. Freud considère que le rêve est " la voie royale " conduisant à l'inconscient. L'incompréhension du rêve soulignerait une résistance. Freud montre donc que la psychanalyse est une interprétation qui n'est pas limité au rêve mais s'adresse à tout le monde. L'interprétation des rêves (1900) est un tournant de la psychanalyse.

L'acte manqué est un acte réussi du point de vue de l'inconscient, qui témoigne de motivations inconscientes. Par exemple, on se souviendra dans l'histoire de la déclaration du président Reichstag qui déclare par lapsus "la séance est close" à son ouverture. Cela semble indiquer qu'il ne désire profondément pas diriger la séance. Freud refuse la conception des lapsus comme de simples preuves d'inattention ou d'un manque de vigilance de la conscience. Il a surement derrière le lapsus une intention dont il faut dégager le sens.
C) Une théorie de l'inconscient 1 - La Psychanalyse repose sur l'hypothèse d'un refoulement Anna O. a été le témoin d'un événement qu'elle a refoulé dans son inconscient. Le refoulement n'est pas un processus qui repose sur l'oubli, mais une opération par laquelle le sujet repousse des représentations blessantes dans son inconscient. Le désir refoulé peut se manifester sous forme d'un symptôme, témoignant de l'échec plus ou moins partiel du refoulement. Selon Freud nous avons tous refoulé le complexe d'Œdipe.

Freud se réfère à la tragédie grecque, et affirme qu'on a tous vécu en "Œdipe en germe", c'est pourquoi cette tragédie nous bouleverse autant. Le complexe est l'ensemble des désirs amoureux et hostiles à l'égard des parents. Il y a désir de la mort du rival du même sexe et désir sexuel pour le parent du sexe opposé. Ce complexe est vécu entre 3 et 5 ans, puis l'enfant entre dans une période de latence et il revit à la puberté. Ce complexe est déterminant dans la structuration de la personne, l'orientation du désir du sujet. Chez Freud la sexualité ne se réduit pas au génital, de même titre que le psychisme n'est pas réductible à la conscience. La psychanalyse a enterré l'hypothèse d'un enfant asexuel. On refuse d'avoir éprouvé des désirs incestueux.
Peut-on soutenir que le complexe d'Œdipe a une valeur universelle ? La conception de Freud, ignore le désir réel de l'enfant, l'enferme dans un triangle œdipien. Aucun enfant ne se contente de désirer ses parents. Le désir de l'enfant est en rapport avec le monde et pas simplement limité au rapport parental. Freud n'assume pas sa découverte avec la psychanalyse mais le complexe d'Œdipe est une réduction de la conception du désir et de l'inconscient. 2 - La théorie des pulsions Les pulsions sont des forces, des énergies de notre psychisme. La pulsion ("Trieb" en allemand) est notre représentant psychique de la force organique. Il y aurait une source organique à l'énergie pulsionnelle, distinct de l'instinct (comportement héréditaire d'une espèce déterminé dans son but et son objet qui permet de s'adapter). Freud a une conception dualiste de ces pulsions. Il conçoit d'abord les pulsions d'autoconservation ainsi que les pulsions sexuelles puis la pulsion de vie (tend à l'union entre les individus, entrainant les individus vers les autres comme l'amour) et la pulsion de mort (briser l'union entre les individus et l’individu comme la guerre qui résulterait de pulsion inconsciente mortel). 3 - Les instances du psychisme (approche topique) Freud compare l'appareil psychique à une carte géographique composée de différentes régions assurant chacune des fonctions distinctes. Ces instances n'ont pas de correspondances anatomiques. Le Ça, instance inconsciente, réservoir de l'énergie pulsionnelle qui ne connait pas d'organisation comparable à celle du sujet conscient et dirigé par le principe du plaisir. Le Moi est une instance consciente, le philosophe l'appelait conscience. Ce pôle conscient de notre psychisme dépend de la réalité extérieure du Ça et du Surmoi. Il est médiateur, il est régit par le principe de réalité recherchant la satisfaction en tenant compte des additions imposés par le monde extérieur. Le Surmoi est une instance inconsciente, un juge sévère du Moi, conçu par Freud comme l'héritier du complexe d'Oedipe. Il se formerait au déclin de ce concept lorsque l'enfant intériorise l'interdiction parentale de l'inceste. Le Surmoi est renforcé par les exigences sociales et culturelles. Il ne faut pas la confondre avec la conscience morale, tribunal intérieur; il serait uniquement un effet de surface du Surmoi, et la partie du Surmoi qui affleure la conscience mais ne la représente pas intégralement.

Le Moi dépend de trois maîtres sévères: le Ça, le Surmoi et le monde extérieur. La tâche du Moi est de concilier des exigences contradictoires ou incompatibles. Le Moi représente juste une partie de la personne et du psychisme, il ne se détermine qu'à partir des "trois maitres sévères". "Poussé par le Ça", les exigences du Moi, la "poussée" renvoie à la pulsion. Rejeté par la réalité extérieure, la réalité ne prend pas le moi en considération, il peut s'opposer à lui. Ces exigences contradictoires conduisent le moi à éclater en angoisse, le sentiment est synonyme d'un état de détresse, une impossibilité pour le sujet de mener une vie équilibré. La tâche du sujet conscient est difficile, c'est celle d'une médiation ou d'une conciliation, le moi n'est pas dans sa propre maison, il doit sans cesse concilier des exigences.

L'exemple de l'humour : le condamné à mort conduit à la potence un lundi et qui déclare que la semaine commence bien. L'humour affirme l'invulnérabilité ou le triomphe du moi et le refus de la souffrance. L'humour n'est pas résigné, il défi, affirme le triomphe du principe de plaisir. La plaisanterie déplace l'accent psychique du Moi vers le Surmoi.
D) La légitimité de l'hypothèse de l'inconscient est-elle scientifique ? 1 - La critique de la scientificité de la psychanalyse Karl Popper épistémologue va montrer que la psychanalyse n'est pas une science, il s'agit d'une pseudoscience. Les énoncés, les jugements de la psychanalyses ne peuvent être réfutés, ni falsifiés.

Exemple : si le patient refuse de parler de ses rêves, c'est qu'il résiste à l'interprétation. Popper conçoit trois moments dans la démarche scientifique: l'observation des faits, l'invention d'une hypothèse et l'expérimentation. Ce troisième moment peut valider ou invalider cette hypothèse. Les énoncés scientifiques sont susceptibles d'être réfutés. Cette réfutation est la clé du progrès scientifique.

Exemple : il est impossible de tester la validité du complexe d'Oedipe. Freud pourtant se réclame de la science. Il veut présenter la science comme expérimentale. Le Moi et le Ça: " La différentiation du psychisme en conscient et inconscient est l'hypothèse fondamental de la psychanalyse : elle seule lui donne la possibilité de comprendre les processus pathologiques aussi fréquents qu'important de la vie de l'âme et de le faire entrer dans le cadre de la science.".
2 - La nécessité et la légitimité de la psychanalyse et l'hypothèse de la psychanalyse La psychanalyse peut avoir un sens sans lui attribuer un caractère scientifique. Freud la classe dans la science pour sa légitimité, sa nécessité et car elle permet de guérir. L'hypothèse de l'inconscient est nécessaire car on ne peut expliquer les phénomènes comme le rêve sans avoir recourt à cette hypothèse, elle donne une cohérence à notre psychisme. L'efficacité de la psychanalyse justifierait sa scientificité, mais pour Popper cela n'est pas suffisant, il pourrait s'agir d'un effet placebo. La psychanalyse nourrit seulement la compréhension du psychisme humain, d'où sa légitimité, mais on ne retrouve ni la démarche scientifique ni philosophique. 3 - Critiques morales de la psychanalyse Les véritables critiques portent sur sa légitimité et non sur sa scientificité, d'où les critiques d'Alain et Sartre. Pour Alain, l'inconscient est corporel, il concernerait l'ensemble des mécanismes du corps comme la respiration, acte corporel inconscient. La conscience serait morale car on ne peut penser sans également juger ce que l’on pense. Pour Sartre l'inconscient est l'alibi d'une mauvaise foi, c'est à dire un acte pour se mentir à soi-même (l'Etre et le Néant). Cependant ces critiques ignorent le sens premier de la démarche Freudienne. Ce dernier ne juge pas, il n'a pas de point de vue moral mais veut comprendre nos comportements. La psychanalyse est un effort de lucidité et de compréhension pour comprendre ce qui échappe à la conscience.